My Shareway to the World

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Symboliques


L'eau et la forêt dans la culture des Bakoko du Moungo

IMPORTANCE DE L’EAU DANS LA CULTURE

DES BAKOKO DU MUNGO

 

L’eau (mindim, madiba en Douala, malep en Bassa) est un élément vital pour l’homme, essentiel pour tous les organismes vivants. Elle est un milieu de vie, un solvant, un aliment.

L’eau existe en trois états:

-          l’état liquide;

-          l’état gazeux (la vapeur d’eau);

-          l’état solide (la glace).

Les états liquide et gazeux sont connus dans nos sociétés traditionnelles, tandis que l’état solide est une introduction de la société moderne, sauf en ce qui est des flocons, phénomène rarissime dans le Canton.

L’eau se retrouve dans l’air (atmosphère), au sol et en dessous du sol. En fonction de sa situation par rapport au sol, on distingue :

-          les eaux superficielles (ou eaux de la surface du sol);

-          les eaux souterraines (ou les eaux qui se trouvent sous le sol).

Dans le cadre de notre exposé qui s’articule sur la prégnance de l’eau sur notre tradition et culture, il sera surtout question de l’eau superficielle, abstraction faite des eaux souterraines dont nous évoquerons toutefois l’un de ses produits qu’est l’eau de puits qui est obtenue par forage à partir de l’une de ses formes qui est l’eau libre, ou eau disponible pour les nappes phréatiques et les aquifères. Les autres formes d’eau souterraine étant l’eau de constitution et l’eau de rétention.

Il existe plusieurs sortes d’eau qui sont chacune investie d’une signification particulière. On distingue ainsi:

1)                 les sortes d’eau connus dans le Canton

-          les eaux de sources (mindim mi eso);

-          les eaux de pluie (mindim mi mbeng);

-          les eaux de puits (mindim mi ebé);

-          les eaux de rivières (mindim mi nkam);

-          les eaux de mares (mindim mi bisasaba) ;

-          les eaux de ruisseaux (mindim mi eso);

-          les eaux des marécages (mindim mi jambo);

-          les eaux des étangs (mindim mi epo);

-          les eaux des creux des arbres (diseng);

-          les eaux des racines (ndihr);

-          la rosée (miyiba);

-          les nuages (mifin)

-          les eaux de lacs (mindim mi epo).

2)                 les sortes d’eau moins, peu ou pas connues par les Bakoko du Moungo

-          les eaux de mers (mindim mi nkam ntjen);

-          les eaux des océans (mindim mi touè)

-          les eaux de lagunes;

-          les eaux de cascades;

-          les eaux de cratères;

-          les geysers;

-          les glaciers;

 Pour finir avec cette présentation générale de l’eau, nous mentionneront que dans le système de l’univers, l’eau présente deux caractéristiques à savoir :

-          le froid et

-          l’humidité,

Le froid (difè) est surtout ressenti dans notre Canton en saison de pluies qui va de juin à septembre.

Quant à l’humidité (efofoè), qui est la présence de l’eau ou de vapeur d’eau dans l’air, indication est donnée qu’elle est élevée toute l’année dans notre Canton, avec une moyenne de 85%, oscillant à 95 - 100% la nuit, quelle que soit la saison.  Ce qui a des conséquences sur notre santé, le logement, le linge, etc. Conséquences qui ont dû induire certains comportements culturels.

Dans la société, l’eau est « objet de partage », car il a été dit que l’eau et le langage sont les toutes premières choses que les êtres humains se partagent au quotidien à partir du moment où ils vivent ensembles. L’eau et le langage irriguent le tissu social, le vivifient et solidarisent comme un lien.

On dit aussi de l’eau qu’elle est « objet de culture », le mot « culture » provenant du latin « colare, cultus » qui veut dire « couler, s’écouler ».

On entend justement par culture « l’ensemble de connaissances acquises, le savoir, l’instruction des individus, l’ensemble des structures sociales et institutionnelles, des manifestations intellectuelles, des valeurs normatives et des croyances qui caractérisent une société ».

L’eau et la culture, sont par conséquent considérées comme des « liants », car elles solidarisent entre eux tous les membres d’une société humaine.

En résumé,

-          l’eau appartenant à la nature en tant que milieu physique où habite l’homme;

-          l’eau modulant et modelant cette nature et les activités humaines;

-          la relation à l’eau de l’homme se construisant en fonction de l’environnement où il se trouve, un environnement qui peut être: géographique, économique, scientifique ou socioculturel;

l’eau est donc un élément déterminant de la culture, la culture qui représente «un complexe d’adaptations à des conditions géographiques et historiques données».

 

Ayant ainsi définit et décrit l’eau et la notion de culture, il reste à mettre en exergue la place et la perception de l’eau par les Bakoko du Moungo dans la dimension spatio-temporelle et la dimension sociale, et plus spécifiquement sous le concept de culture qui englobe l’ensemble de connaissances acquises et phénomènes sociaux, entre autres:

-          les croyances et religions;

-          les coutumes et traditions;

-          les mythes et légendes;

-          les mœurs et comportements;

sans oublier les arts, les institutions, les sciences et techniques qui ne serons évoqués que très superficiellement.

 

Importance ou signification de l’eau dans l’environnement physique et les activités socio-économiques chez les Bakoko du Moungo

Pour rappel historique, les Bakoko du Mungo, avant d’être différenciés comme tel, partagent l’héritage culturel centré autour de l’eau avec leurs frères Ba-Sow depuis le temps de leurs ancêtres en Egypte (qu’Hérodote a qualifié à juste titre de don du Nil). Héritage qu’ils ont enrichi d’aspects spécifiques du fait de leur migrations jusqu’à leur emplacement actuel au sud de la «plaine de Dibombari».

En effet, ces Ba-Sow ou descendants des Sao, qu’on dit originaires de la vallée du Nil, qu’on situe au 7è (VII) siècle au Kanem-Bornou (entre le Niger et la Nubie), que les historiens disent être les plus anciens habitants de la région du sud du  lac Tchad dans laquelle ils se seraient établis à partir du 9è (IXè) siècle, qui selon le Père Mveng ont irradié à travers le Logone-Birni en 1.194, puis dans le Golfe de Guinée, dans la cuvette du Congo par le Chari et l’Oubangui, ces Ba-sow ont toujours eu une relation particulière avec l’eau.

Leur migration du plateau de l’Adamaoua pour s’établir dans la région de la grotte mythique Ngog Litua, Ngog Lituba ou Ngog Lipondo en pleine savane n’aurait été qu’une parenthèse avec les vastes étendues d’eau, pour la plupart d’entre eux. Puisque leur ultime migration à partir de Ngog Lituba vers leurs résidences actuelles les mettra de nouveau en relation avec d’autres cours d’eau comme les fleuves Sanaga, DibambaKwa kwa, etc… .

L’arrivée au 15ème (XV) siècle du groupe social qui prendra plus tard le nom de Bakoko du Moungo dans ce qui deviendra leur capitale politique du nom de Yakaboti, qui s’appelait Bassa puis deviendra Douala en 1901 après avoir été appelée Cameroonville permettra à ce peuple d’avoir une autre perception de l’eau, particulièrement à travers le fleuve qu’ils appelaient Mbende et qui prendra plus tard le nom de Wouri, une fois appelé Munj’a m’Ewodi, ainsi que d’autres plans d’eau comme des rivières  dans le Canton Akwa qui d’après Dika Akwa, sont aujourd’hui des lieux sacrés aussi bien Bakoko que Ngala, entendez Douala. Le Mbanya en est certainement l’un des exemples les plus illustratifs.

Ayant été, avec leurs frères Bassa, les populations présentes aux abords du fleuve Mbende baptisé Rio dos Camaroes par les Portugais à leur arrivée en 1472,  ils méritent de jouir du bénéfice moral que confère cette circonstance au regard de l’histoire du Cameroun.

Depuis leur départ de Douala après l’arrivée et la cohabitation avec le groupe éponyme à partir de 1578 et leur installation au sud de la «plaine de Dibombari» entre le 17ème (XVII) et 18ème (XVIII) siècles, l’eau a joué un rôle institutionnel en tant qu’élément de matérialisation des frontières naturelles entre le Canton Bakoko du Moungo et les contrées limitrophes, Douala, Pongo et Abo.

Ainsi, la rivière Ewodo et la crique Bomono-madiba (l’un des bras du delta du Wouri) le séparent du Canton Belle Belle ou Bonabéri sur une longueur de trois (03) et vingt trois (23) kilomètres respectivement. Le Wouri le sépare à l’est du Canton Bassa sur neuf (09) kilomètres. Les rivières Bakoko et Ebondodiko le séparant des Cantons Abo-sud et Pongo. Il est parcouru par le fleuve Abo sur sept (07) kilomètres.         

L’eau comme modeleur, graveur ou sculpteur des reliefs a doté le Canton Bakoko d’un certain nombre d’îles ou presqu’îles (ehenda, eyondi en Douala) dont les plus importants sont Bongo et Bisamba, dont la symbolique dans la vie des Bakoko mérite d'être soulignée.

L’eau façonneuse et habilleuse des paysages a engendré d’un côté ce que Paul Moby Etia a appelé « l’une des plus belles mangroves des régions tropicales », et de l’autre un tapis d’herbes et une mer de palmiers-raphia.

L’eau à travers notamment le fleuve Wouri, a également constitué un outil diplomatique pour le Canton Bakoko du Moungo. En effet, sa position stratégique  sur le Wouri était un atout considérable pour eux. Ils s’en sont servi comme monnaie d’échange avec les rois Douala, pour avoir un droit de passage et de commerce à Cameroon, ceux-ci en retour obtenant le droit  d’atteindre l’arrière pays Pongo ou les rives Abo et Ewodi en amont. On peut également inscrire dans ce registre l’octroi par les Bakoko du droit d’exploitation de ce qui sera appelé beach de Bonangando au Chef Ngand’ a Kwa.

Les Bakoko se sont aussi servi de l’eau pour la régulation des relations sociales avec leurs voisins Abo, Pongo et Ewodi qui « ne pouvaient chercher querelle de façon durable aux Bakoko qui formaient un rempart entre eux et les Douala ». D’où la relative entente d’alors entre ces populations. Les Bakoko eurent surtout maille à partir avec les Abo dont les velléités d’expansionnisme se manifestent jusqu’à ce jour, malgré les frontières naturelles ou voulant choisir celles qui leur convient le plus. (A ce sujet, des échauffourées et anecdotes ne manquent pas).

L’impact socio-économique de l’eau comme voie de communication privilégiée dans le Canton Bakoko du Moungo leur vient du fait qu’il est abondamment arrosé dans son ensemble par de multiples marigots, ruisseaux et rivières qui se jettent dans les fleuves Wouri et Abo et dans la crique Bomono-Madiba. Entre autres EnongoNsèmpouèMboumboulan. Plusieurs de ces ruisseaux et rivières sont navigables tout le long de l’année.

L’importance économique de l’eau ne se limite pas aux voies de communication, mais s’étend à plusieurs autres activités humaines comme les marchés qui se situaient en bordure de cours d’eau, l’exploitation de matières et matériaux de construction, les activités de production et de loisirs.

Le Canton Bakoko du Moungo comptait les marchés parmi les plus célèbres de la côte, à savoir les marchés de Sengè, Maka, Njouki et Ebondodiko. Les trois premiers situés au sud-ouest attiraient les populations de Douala et Dibombari, tandis que le dernier au nord-ouest concernait les Yabassi et Wouri. C’est sans doute lui qui, dans sa phase de déclin, s’était transposé au beach de Yangonang.

Les activités de production sont la pêche traditionnelle (nsombo a dikanga,  nsombo a nsong, nsombo a ahok, nsombo a nkomè, nsombo a ndemba, nsombo a dikahrè), puis avec du matériel moderne (mbunja, epéé, bata, ta’a, sambi etc.), le puisage du sable et l’extraction du gravier, la cueillette du vin de raphia, l’extraction du matériel de construction comme le bambou et la confection des nattes à l’aide de feuilles de raphia, les activités artisanales à l’aide des rotins et la vase, etc.

 

Importance ou signification de l’eau dans l’environnement socioculturel des Bakoko du Moungo

L’importance ou la signification de l’eau dans l’environnement socioculturel des Bakoko du Moungo sera examinée sous l’angle des phénomènes sociaux ci-après:

-          les croyances et religions;

-          les mythes et légendes;

-          les autres formes de littérature orale;

-          les coutumes et traditions;

-          les mœurs et comportements.

 

L’eau dans les croyances et religions chez les Bakoko du Moungo

Les croyances et religions chez les Bakoko du Moungo ne sont pas différentes de celles de leurs frères Mpoo, Sawa, voire des Bantou en général.

En effet, dans la cosmogonie Bantou et celle de la plupart des peuples africains, l’eau est avec la terre, l’air et le feu, un élément qui symbolise les mythes des origines, de la création, la cosmogonie qui permet d’expliquer l’origine, l’essence  et le sens du monde.

Le récit du démiurge y stipule qu’originellement, la terre n’était qu’eaux et ténèbres.

En remontant à l’Egypte antique d’où ces populations sont originaires, on trouve l’eau comme élément fondateur dans les différentes cosmogonies:

-          la cosmogonie héliopolitaine avec le Dieu créateur qui émerge du Noun, considéré comme océan primordial;

-          la cosmogonie memphitique avec Ptah, le démiurge issu du Noun (probable métaphore du Nil en crue), l’océan primordial;

-          la cosmogonie hermopolitaine avec le démiurge Thot, qui déposa un étrange œuf sur la butte primordiale jaillie du Noun (Nil en crue).

Même dans la cosmogonie monothéiste comme la religion chrétienne dont les Bakoko du Moungo furent parmi les premiers  à embrasser  l’évangile dès 1.843 au contact du Pasteur  Joseph Merick, annonciateur de l’évangile au Cameroun, produisant le 3ème pasteur camerounais en la personne de Joshua Dibundu Ndenge de Yabwadibè, et plus tard Andreas Kwa  Mbangue de Mbangue, premier catholique et premier catéchiste du Cameroun,  dans cette cosmogonie, il est dit que Dieu sépara ciel et mer le 2ème jour, créant ainsi la plate-forme de base du monde.

L’eau y apparait comme principe créateur, au travers des nuées et brouillard. C’est de l’eau et de la terre qu’est façonné le premier homme.

L’eau y symbolise la pureté et est souvent exprimée par le biais du déluge qui appelle à purifier le monde de l’impiété des hommes. Ce déluge rappelle à l’homme sa faiblesse face aux puissances célestes, et permet le renouvellement du monde grâce aux meilleurs des humains, comme Noé et son arche.

L’eau y est un élément protecteur des bons et destructeur des méchants, comme l’illustre l’épisode du passage de la mer rouge par Moise, lui-même sauvé des eaux.

Revenant aux  croyances des Bakoko, on sait que nos ancêtres vouaient un culte aux divinités aquatiques, les Bisima ou les Miengou (pour ceux des Bakoko du Moungo en communauté de résidence avec les Douala). L’eau étant considérée comme le séjour des esprits, ici l’esprit Bisima ou Jengou. Ces êtres spirituels sont des médiateurs entre l’Etre suprême et les humains, vers lesquels le peuple se tourne pour formuler ses demandes. Dans le rite Bisima, les consacrés jouent le rôle d’intermédiaires entre les humains et les hommes de l’eau.

La conséquence du culte aux Bisima est d’ailleurs le déterminant lointain de la dévolution de la chefferie du canton Bakoko du Moungo dans son emplacement actuel, Yasem.

Les principaux lieux sacrés se trouvent dans les tourbillons, confluents, embouchures, lacs, le plus célèbre étant le tourbillon stationnaire appelé Etia Bosamba.

On dénombre au moins une demi dizaine de ces lieux sacrés le long du fleuve Wouri et de l’Abo, sous l’emprise partielle ou totale des Bakoko du Moungo, à partir du tourbillon de Tondo ou Tond’a Jebale, qui est le confluent de trois bras du Wouri dont deux venant de Bakoko et le troisième de Bonendale. C’est d’ailleurs en ce lieu qu’autrefois se déroulait le rite d’immersion du vase sacré du Ngondo.

 

L’eau dans les mythes et légendes chez les Bakoko du Moungo

Ce paragraphe se situe au prolongement du précédent, car si les mythes se veulent explicatifs et surtout fondateurs de pratiques sociales, ils désignent aussi des croyances et sont synonymes de légendes, ces récits dont l’existence est plus ou moins prouvée, et qui deviennent elles-mêmes des mythes au fil du temps. 

L’un des mythes jadis ancré auprès des Bakoko du Moungo était leur immortalité par noyade. En effet, il avait été proclamé, répandu voire établi qu’une bouée providentielle - sous forme animale, végétale (tronc d’arbre) ou minérale (rocher ou banc de sable)- volait au secours d’un Bakoko du Moungo partout où il se trouverait en situation de noyade, si ce n’est un sauvetage miraculeux ou inexplicable par des tiers.

Des exemples et situations autrement curieux abondent, même sous les yeux de nos jeunes parents. 

La plupart des beachs du Canton comportaient des totems auxquels on attribuait les pouvoirs et le rôle de protection du fleuve ou de sauvetage des noyés.  Il en est ainsi du beach de Yasem avec son rocher providentiel, de celui de Yabwadibè avec le tronc d’arbre appelé Djandè, du beach de Yangonang avec son célèbre Moukoko ma ndôngô. Des situations vécues par certaines personnes encore vivantes sont édifiantes.

Un autre mythe a trait au jugement de tous ceux qui «sont pris dans l’eau », au tribunal occulte siégeant dans ce qui est considéré comme le plus grand sanctuaire mystico-religieux aquatique des peuples Sawa, appelé Etia Bosamba en territoire Bakoko. Haut lieu de séjour des esprits et des  ancêtres.  Ceux qui en sont rentrés avaient l’interdiction formelle de dire ce qui et qui ils y ont vu, sinon de ne rien dire du tout, s’ils ne devenaient pas temporairement ou définitivement muets.

Dans un autre lieu sacré appelé Punden dans le village Yafindé aujourd’hui disparu,  Christine Buhan et Etienne Kange Essiben ont signalé, d’après le témoignage de Mbinde Dibongue, que Les Douala venaient y chercher l’eau   que devait contenir le vase rituel lors de leur cérémonie du Ngondo. Punden ne devrait pas être loin de Tondo’a Jebale.

La légende de Malobè, le géant et tyran (justicier?) Pongo qui semait de la terreur et la zizanie dans la région, et qui fut terrassé par Engomnga, Bakoko de Yansoki, cette légende qui est l'une des références de l'histoire du Ngondo est née de la bataille ayant opposé les deux cités et dont le théâtre fut la rive de Njouki, grand marché et plus grand débarcadère pour la communication vers l'ouest du pays.

L’arc-en-ciel, ce phénomène optique et météorologique qui rend visible le spectre continu de la lumière du ciel quand le soleil brille pendant la pluie a aussi des significations mystiques chez les Bakoko du Moungo.

 

L’eau dans les coutumes et traditions des Bakoko du Moungo

Les usages, les habitudes consacrées par les pratiques prolongées au sein du groupe social Bakoko du Moungo en relation avec l’eau sont à la fois communs avec ceux des groupes sociaux frères, mais aussi spécifiques par influence et adaptation à leurs environnements de transition (Douala) et de résidence actuelle.

Les différentes utilisations ou perceptions de l’eau dans les coutumes et traditions Bakoko sont :

-          l’initiation ou la consécration;

-          la purification;

-          la guérison;

-          la protection et bénédiction;

-          les serments;

-          autres pratiques.

 Dans la symbolique Bakoko du Moungo, l’eau symbolise la pureté, la tranquillité, la vitalité. Un corps sain dans un esprit sain se confère à travers des rituels variés.

Ainsi, dans les rituels d’initiation ou de consécration, l’eau à l’état pur ou mélangée aux herbes sert au lavage du front, du visage ou de tout le corps.

La salive simple ou mélangée à des herbes peut être crachée sur le visage ou dans la bouche de l’initié.

Les rituels de purification à l’eau se font par lavage extérieur du corps (aspersion, immersion dans un cours d’eau comme lors du rituel de veuvage, écoulement de l’eau versée sur une toiture).

Le lavage peut aussi être intérieur par des lavements ou des inhalations.

L’eau dans le rôle de protection ou de bénédiction est utilisée chez les Bakoko du Moungo pour plusieurs circonstances comme lors de l’installation dans une maison, à l’issue de l’inhumation d’un Chef de famille. L’eau et les herbes appropriées avaient servi au rituel de bénédiction des Lions Indomptables à la Kadji Sport Academy par les Chefs Bakoko du Mungo et Pongo avant leur départ pour la Coupe d’Afrique des Nations au Nigéria en 2.000. On connait le résultat.

Certains cours d’eau « sacrés » servent pour la besogne. Il en est ainsi du Mbanya qui, quoique situé à Akwa-Nord, est encore, pour des raisons historiques, sous influence Bakoko du Moungo et leur population résiduelle, les Yadimbam. Aussi ces derniers y officient-ils en maîtres des lieux lors des cérémonies traditionnelles. Les cas les plus illustratifs et contemporains sont d’une part les obsèques du chef Betote Akwa, où le protocole du rituel de lavage du corps au Mbanya s’est achevé par l’interpellation des Akwa en ces termes «  A Bakoko, binyo bola biso Janea l’asu » (Que les Bakoko nous remettent notre Chef). Le rituel avait été effectué par Kouoh Eyidi, frère du Pasteur Moungollè. D’autre part, lors de la cérémonie de bénédiction du Chef de l’Etat au Mbanya au lendemain de son accession au pouvoir, ce dernier avait été installé entre les jambes du Chef Supérieur Bakoko du Moungo, Benga Diboume, afin de subir les rites.

Quoique les Bakoko du Moungo n’aient pas disposé de pirogues de courses célèbres ou peut-être à cause de cela, celles des Ewodi (Nkam Nkam) et des Bonangando (Ngand’a Bolo) sont toujours allés faire le « esa » (bénédiction) au Etia Bosamba  avant d’entreprendre la compétition. Quant à celle des Djebale, elle effectue ses rites à Etia Biangue qu’ils pensent leur appartenir, alors qu’il est en territoire Bakoko.

Pour ce qui est de la guérison, l’eau est utilisée comme solvant de préparations médicamenteuses, tout comme les abords de cours d’eau ou les cours d’eau servent de sites de guérison. Il ne nous a pas été donné de noter la présence d’eaux guérisseuses ou des rituels thérapeutiques du genre bornes fontaines, Lourdes, baignades dans le Nil ou le Gange.

Pour soigner un enfant « qui monte à la corde » (béhr a nsinga, landa o musinga), « on le lave dans une cuvette d’eau où macèrent des plantes médicinales, chaque jour pendant 9 jours. Le neuvième jour, [...] le guérisseur verse sur le toit une partie de l’eau du traitement pendant que l’on tient l’enfant juste en dessous. L’autre partie de l’eau sera répandue le lendemain de grand matin à un carrefour ».

Dans un autre rite de guérison, on verse de l’eau dans une feuille de macabo où tous les membres de la famille concernée se lavent les mains à tour de rôle, puis le malade est lavé avec cette eau.

L’eau à usage de rites d’adieu est aspergée à l’aide d’un chasse mouche ou par la bouche sur le corps ou le cercueil du défunt et sur les participants dans les cases rituelles (dibala) à l’occasion des cérémonies d’adieu  aux patriarches, chefs de familles, élites et chefs de villages.

L’eau sert aussi au serment traditionnel appelé Esa ou Male, à la voyance et à l’ordalie (njek ou njo en Douala).

Comme autre activité traditionnelle autrefois quasi mythique, on peut mentionner la pêche ou récolte des Mbotohrè ou Mbea Towe (camaroes) dont l’un des sites privilégiés est le nkam a mbothorè (rivière des crevettes) en territoire Bakoko.

La pluie est selon les circonstances considérée comme une bénédiction ou une malchance. Des pratiques plus ou moins élaborées sont observées chez les Bakoko du Moungo afin de la provoquer ou de l’éviter.

 

L'eau dans les autres formes de littérature orale chez les Bakoko du Moungo

Il s'agit des représentations symboliques de l'eau dans les épopées (haut-faits et aventures héroïques, héros, conflits), dans les contes, proverbes, dictons, devinettes, énigmes, chants.

 

L’eau dans les mœurs et comportements des Bakoko du Moungo

Il s’agit ici de la place et l’impact de l’eau dans les pratiques sociales, les usages particuliers, les habitudes de vie et comportements individuels et collectifs des Bakoko du Moungo depuis leur séjour à Douala à ce jour. Ici, l’eau peut être perçue comme une aubaine ou une menace.

En tant qu’aubaine, en plus des activités socio-économiques ci-dessus évoquées, on peut ajouter que du fait de l’abondance d’eau, le Bakoko du Moungo accorde un grand prix à l’hygiène corporelle et à la propreté de l’espace.  L’histoire ne retient-elle pas qu’entre autres raisons de leur départ de Douala, ils reprochaient aux Douala leur saleté au regard de leurs activités humaines aux abords et dans le fleuve? Christine Buhan et Kange Essiben écrivent que « les Yabiang-Yapeke aiment la propreté. Certains la pratiquent avec scrupule tant dans leurs maisons que sur eux-mêmes. D’un homme sale, on dira qu’il est esclave,  a lè iyong. D’une maison mal tenue, on pensera voilà la maison d’un esclave. On se lave trois fois par jour, le matin, au milieu du jour, avant le coucher du soleil, soit derrière la maison, soit au marigot ». Fin de citation.

 

Aubaine et menace en même temps, nous pouvons relever cette pratique, certes isolée, de certaines personnes qui, sous le prétexte de rapprocher les cours d’eau des habitations, avaient recours aux animaux mystiques qui nécessitaient parfois sinon toujours des sacrifices humains, animaux chargés de creuser les canaux ou d’élargir les bassins des cours d’eau, ou de creuser des puits. Un cas nous a été signalé à Yasouka du temps de nos arrières grands-pères. Récemment, des bruits qui ont effrayé les populations ont couru sur l’offre de service d’un parent qui disait introduire ce type d’animal totem dans le fleuve Abo pour éliminer la jacinthe d’eau qui l’a envahie. Et d’après notre principal informateur, il ne s’agissait pas d’une nouvelle introduction, car le concerné disposait de cet animal et en disposait aux fins maléfiques depuis fort longtemps. Aux dernières nouvelles, Il l’aurait délocalisé dans une source quelque part en brousse.

Ceci sert de transition pour l’aspect menace de l’eau dans le Canton Bakoko du Moungo.

L’eau étant un milieu de développement de vecteurs de maladies comme l’anophèle (anyong ou loungou en Douala), on pouvait s’attendre à ce que le paludisme soit prévalent dans le Canton Bakoko du Moungo. La société traditionnelle s’y était sans doute prémunie à l’aide d’une pharmacopée traditionnelle appropriée. Nous avons entendu parler des Bopolopolo et d’autres décoctions préparées par nos grand-mères).

L’environnement aquatique sert aussi d’hôte à d’autres bestioles comme la mouche tsé-tsé (ebô e njok), une autre mouche suceuse de sang appelée disoun ou ebo en Douala, la simulie ou mout-mout appelée adihra ou bepisi en Douala. Toutefois, la maladie du sommeil fut marginale dans ce canton, et la mouche tsé-tsé n’y est plus vectrice de cette maladie; l’onchocercose causée par la simulie n’y est pas une pathologie, à cause de l’absence de rapides. On pouvait aussi s’attendre à la prévalence de maladies de l’eau comme les diarrhées, la bilharziose,  schistosomiases, le choléra  contre lesquelles des comportements de défense ont certainement été développés dans la société traditionnelle, car l’histoire ne retient pas de graves  épisodes d’endémies ou d’épidémies. La carte épidémiologique du canton est encore difficile à établir car la plupart des habitants se soignent à Douala. 

La menace la plus effrayante et permanente est le risque de noyade. A part les accidents de noyade normale inhérents à la nature de l’eau, la configuration des plans d’eau et l’état physique des hommes, il s’y déroule des activités de sorcellerie dite ‘’ du caïman’’ par laquelle certains esprits maléfiques font disparaître et tuent les autres par noyade réelle ou fictive. Notre principal informateur a lui-même failli en être victime.

En effet, naviguant à trois dans une pirogue dans le Wouri au large de Yasem, son compatriote de la proue l’interpella soudainement en lui demandant de regarder un gros tronc d’arbre sous l’eau. Ce qu’il fit et vu, mais répondit le contraire. Il eût ainsi la vie sauve car s’il disait l’avoir vu, il serait passé de vie à trépas.

 

C’est par cette anecdote qu’il peut être conclu, en disant en un mot comme en plusieurs que pour les Bakoko du Moungo comme pour toutes les communautés ou tout être vivant,  « l’eau c’est la vie ».

 

 

(First published at BisombibiBakoko blog)


14/04/2016
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