La rébellion dans le Bamiléké
Bouopda Pierre Kamé, De la rébellion dans le Bamiléké (Cameroun), L'Harmattan, 2008.
Un ouvrage "riche d'enseignements [qui] revient en détails sur [la] crise sociale et politique qui a forgé certains caractères contemporains de l'Etat du Cameroun".
Crise qui, d'après l'auteur, est plus sociale que politique, et qui bat en brèche ou relativise la lutte armée de libération du Cameroun sous les auspice de l'ALNK (Armée de Libération Nationale du Cameroun) érigée par l'UPC. Armée que l'auteur qualifie par ailleurs de "structure imaginaire" non pas parce qu'elle n'a pas existé, mais sans doute parce qu'elle était beaucoup plus un mirage.
Ces écrits remettent en cause beaucoup d'idées distillées dans l'opinion camerounaise sur la lutte armée pour d'indépendance, voire même la base conceptuelle du "problème Bamiléké" et l'orientation qui lui a été donnée.
On y apprend, et ce n'est pas nouveau, que la "lutte armée" dans l'Ouest camerounais était plutôt des crimes et terreurs qui avaient "commencé avec la destitution de Ninyim" [Pierre Kamdem] comme Chef Baham. "Et se termine avec son exécution".
D'une "querelle villageoise", la situation à l'Ouest se transforme en actes criminels qui revêtent "les principaux caractères du terrorisme contemporain". Une sorte de Boko-haram avant Boko haram, les kamikazes en moins. "dans le trianglee Dschang-Bafang-Bafoussam, durant ces années pleines d'espérances de libération politique au Cameroun, des Bamilékés constitués en bandes armées assassinent froidement des enfants, des femmes,des familles entières, des civils, des militaires, des policiers, des gendarmes, des élus, des civils, des prêtres, des pasteurs, des chefs traditionnels, des préfets, des enseignants,... Ils pillent et incendient délibérément des chefferies, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles, des églises, des temples, des stations agricoles, des fermes, ... Ils détruisent des ponts, coupent des routes et des fils télégraphiques, saccagent des plantations, ... Des trésors du patrimoine architectural bamiléké partent à jamais en fumée".
Ce sont des faits. Indiscutables et vérifiables. Mais l'interprétation des causes et la justification de leur bien fondé peuvent être sujet à débat.
Pour l'auteur et plusieurs autres sources, l'origine de la "rébellion" dans le Bamiléké est à chercher dans
« la contestation ouverte de l’organisation de la société bamiléké par les jeunes générations ». Une crise sociale donc, conséquence de « l’assujettissement des chefferies à l’autorité de l’administration coloniale, le scolarisation croissante des jeunes, et la diffusion de la religion chrétienne » qui ont contribuer à la fissure du « modèle social bamiléké ». Mais peut-on enlever l’aspect politique de cette crise sociale du fait de l’émancipation politique de l’époque promue principalement par l’UPC, que non, et l’auteur le mentionne. Mais la rébellion telle que enclenchée dans la Sanaga Maritime n’est pas la conséquence directe des batailles politiques, et quoique des fils de l’Ouest au premier rang desquels certains jeunes chefs appartenaient à l’UPC, l’auteur renseigne que c’est par opportunisme que « les vandales […] gagnent le statut de combattants de la liberté aux yeux de certains responsables de l’UPC qui sont loin du théâtre des opérations ».
« Les vandales de Baham ignorent ces exigences politiques. Leur exploit impuni inspire d’autres groupes de jeunes Bamiléké qui songent peut-être dans l’hypothèse osée d’une cause commune, à renverser l’ordre social structuré autour des chefferies ». Un problème Bamiléké-Bamiléké en somme. Qui a sans doute été baptisé de « problème bamiléké » par le Colonel Lamberton, en référence aux « convulsions dont ni l'origine ni les causes ne sont claires pour personne ». Si l’auteur et ce tristement célèbre Lamberton se rejoignent dans l’analyse, il y a lieu de se demander pourquoi ce « problème bamiléké » a tant été dévoyé et « tabouisé », et donné une interprétation « caillou bien gênant » de la phrase du français « Le Cameroun s'engage sur les chemins de l'indépendance avec dans sa chaussure un caillou bien gênant », non comme une société ethnique en crise sociale vis-à-vis d’elle-même avec des conséquence sur la marche du pays, mais comme un groupe à stigmatiser et à se méfier. Ne peut-on pas voir ici une auto-stigmatisation que certains reprochent à ce groupe ?
Car l’origine et les causes de ces « convulsions » semblent être ce qu’un fils de l’Ouest attribue aux mutations et crise sociale quelles entrainent.
Ce livre emmène donc à nuancer l’ampleur et l’importance de la lutte pour la libération dans les grassfields. Et ce n’est pas nouveau car dans il nous est parvenu aux oreilles dans notre enfances, les accusations de trahison de la lutte dans cette région. L’auteur l’indique en disant que « certains chefs de ces bandes criminelles se réclament sans conviction, ni engagement, du nationalisme « kamerunais ». Elles n’ont cependant aucun lien organique avec l’Upc ». Quoique « certains responsables de l’Upc, loin des théâtres des opérations, identifient malheureusement l’embryon d’une armée révolutionnaire dans ces bandes crapuleuses qui terrorisent les populations tant que les forces de l’ordre sont insuffisantes dans le Bamiléké ».
Cette accusation remet sur la selle le débat sur la nécessité et l’opportunité de la lutte armée au regard des capacités militaires et politique de l’UPC. Elle expose l’amateurisme voire la légèreté de cette organisation ou tout au moins de certains de ses leaders à s’engager dans une voie dans laquelle ils n’étaient vraisemblablement ni préparés, ni soutenus. L’UPC a-t-il bluffé le peuple camerounais ? Non pas dans la quête d’émancipation, mais dans la finalité de la lutte qui aurait été plus la quête du pouvoir que la libération ?
Le prix de sang payé par les camerounais était-il proportionnel et indispensable au poids de la « véritable indépendance » ?
Fallait-il faire feu de tout bois et adouber toutes les bandes de « vulgaires criminels » qui sévissaient dans l’ouest et ailleurs dans le Moungo au nom de cette lutte ?
L’UPC a-t-elle structuré son armée à l’Ouest contrairement aux allégations d l’auteur qui estime que « malgré les déclarations de certains dirigeant de l’Union des Populations du Cameroun (UPC), aucune organisation criminelle structurée n’est en effet implantée dans le Bamiléké à la fin des années 50 et au début des années 60 » ? L’UPC a-t-elle essentiellement joué à la récupération maladroite des actes criminels de « petits criminels qui jouent aux caïds » dont les plus en vue étaient :
- "Tchuembou Paul, la vingtaine commençante... se fait appeler "Capitaine chef Momo Paul, Génie de Baham. [...] L'aigreur l'incite à basculer dans la violence et le crime. L'écho du combat de l'UPC... lui est entretemps parvenu. Il s'en réfère au besoin pour couvrir des crimes crapuleux".
- Singap Martin: "25 ans en 1957 lorsque les violences et les crimes commencent dans le Bamiléké. Comme Momo Paul, il sort du système scolaire après le cour élémentaire. [...] Il intègre la JDC. [...] A Accra au mois de juillet 1960, Félix Moumié, Ernest Ouandié et Abel Kingué donnent au petit Martin Singap le titre de chef de l’Etat-Major général de l'ALNK. Cette promotion est un aveu de désespoir des dirigeants upécistes en exil. Mais cela honore Martin Singap, "le général" sans troupes. Il multiplie les crimes meurtriers et stériles".
- Ndéléné Jérémie: "C'est un tradi-praticien analphabète qui a la quarantaine. [...] Il est en contact et en rivalité avec Momo Paul et Singap Martin. Il use de sa réputation de tradi-praticien et de rituels pseudo-mystiques pour enrôler de jeunes désœuvrés dans l'une des aventures les plus criminelles et meurtrières du Bamiléké. Ndéléné Jérémie ignore fondamentalement tout du combat pour la réunification et l'indépendance du Cameroun. Il est englué dans des querelles et les règlements de compte au sein de sa chefferie natale".
"Tous les "maquisards" du Bamiléké sont de cet acabit.
"Félix Moumié, Ernest Ouandié et Abel Kingué engagent incontestablement une composante de l'UPC dans une voie criminelle après le décès de Ruben Um Nyobé".
Si Momo, Singap et autres, « généraux imberbes » dixit « les irrécupérables (Félix Moumié et ses amis de Kumba) comme les qualifiait Iwiyè Kalla Lobè étaient de vulgaires criminels, l’UPC n’a t-il pas de compte à rendre au peuple camerounais ? Comme chantait déjà « la pègre de New-Bell en 55 « Général Moumié, nous avez-vous donné la liberté » ? Extrait de l’éditorial du journal l’Opinion au Cameroun signé par le sus-nommé, cité dans le livre et qui sonne comme acte d’accusation de l’UPC version rébellion.
« Cest très beau d’aller vivre avec sa femme en Egypte ou en Yougoslavie quand on laisse derrière soi des foyers éteints, de veuves éplorées, des orphelins…
C’est très « nationaliste » de lancer des cris de guerre sainte quand on est soi-même à l’abri et quand on sait qu’on bénéficiera d’une mesure de faveur, d’un « éloignement touristique »…
Mais qui sera comptable, maintenant, de tous les crimes commis ? et la répression qui s’en suivit ?... « Général Moumié, nous avez-vous donné la liberté » ?... la pègre de New-Bell chantait ainsi votre nm en mai 55, mais vous étiez débordé par votre folie et ne pouviez plus la faire taire. A présent, vous préférez aller contempler le Sphynx et les Pyramides des Pharaons, au lieu de venir vous incliner sur la tombe anonyme de vos victimes innocentes !... Est-ce là le courage d’un « Général » ?... Egypte… Inde… Yougoslavie … Syrie… Congo-Belge… que de noms rêveurs… oui, vous allez faire de beaux voyages, mais pourquoi avez-vous oublié la Lune ? Car vous avez souvent habité, cette planète, et vous l’avez fait habiter, hélas par de nombreux camerounais (pardon Kamerunais). Maintenant que vous préférez vivre sur la terre ferme et que vous quémandez la demeure des autorités &nglo-nigériennes pour « rester tranquille » et « ne plus faire la politique », vous oubliez que vous avez des comptes à nous rendre.
Peu-être, un jour, quand vous cesserez d’être les écoliers indociles et bêtement turbulents que vous ayez été avec vos amis, vous rendez-vous compte qu’il y a tout de même une limite à tout et qu’il est très dangereux de jouer avec le feu…
Mais je perds peut-être mon temps à vous parler. Vous pensez déjà aux beaux pays que vous allez visiter et avez certainement déjà oublié le Cameroun que vous avez failli assassiner
C’est bon ! Nous n’aurons même pas pu vous « récupérer » pour parler de notre pays avec vous, de ce pays que vous avez délibérément ignoré en le plongeant dans l’anarchie…
Bon voyage, ex-Camerounais !...
Mais n’oubliez pas le mot du phylosophe ; « partir, c’est mourir un peu ». Vous êtes mort pour les Camerounais que vous auriez dû servir loyalement. Nous ne vous regrettons pas, nous qui sommes à pied d’œuvre. Nous dénonçons seulement vos actes criminels et la lâcheté de votre retraite…
Au revoir… Nous n’avons plus rien à nous dire…
Les camerounais ont donc écrit, avant et après Bouopda. Présentant les faits et analysant selon leur angle et prisme. Nul besoin de stigmatiser ou de faire un délit de faciès, la vérité absolue ne pourra sortir que de la confrontation des versions et de la triangulation des sources. En attendant la levée du secret-défense des sources françaises qui peuvent s’avérer être une boîte de Pandore, assumons froidement nos propres démons et cessons de tracer une ligne qui sépare les bons « absolus » des méchants « dévolus ».
Quant à moi, je serai encore déçu et trahi si le tiers des allégations de l’auteur s’avérait vrai.
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 58 autres membres