Hommage à un Patriarche: Papa Mbango
Hommage à Papa Mbango
« Un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brule »
Et quel vieillard ! Un érudit de l’histoire des Sawa en particulier, et du Cameroun en général.
Il était consulté par de nombreuses personnes en dehors de sa communauté, aidant certains à écrire des livres sur l’histoire des Sawa.
Il était également consulté pour les litiges fonciers par les Akwa et les Basaa en particulier, eu égard à ses connaissances ancestrales sur la vie desdites communautés.
Mais il n’avait jamais été honoré par sa propre communauté, et pour cause ! Jusqu’au mois d’avril 2015. Et encore !
Nous lui devons la connaissance exhaustive de l’histoire du Canton Bakoko du Moungo et de sa chefferie supérieure. L’histoire des berges du Wouri. C’était à l’occasion d’une excursion des jeunes du Canton vivant à Yaoundé, en quête de leurs racines. Beaucoup de villages en ont profité pour connaitre leur histoire. Il n’y a pas jusqu’aux Chefs qui ont connu à l’occasion leur généalogie et l’origine du nom de leur village pour certains.
Pa’a Mbango Mbango s’en est allé !
Depuis hier, à la suite de la publication sur l’histoire des peuples Bassa-Bakoko-Douala que j’ai entrepris de faire en réaction de la publication des essais de Monsieur Ekwe mardochée, je me suis résolu à convertir les reportages vidéos que j’ai effectué avec lui sur l’histoire du fleuve mythique qu’est le fleuve Mbendè ou Wouri. J’ai pu isoler une partie où il fait référence au Ngondo, afin de la publier en appui à ce qui a été écrit concernant son étymologie. Je l’aurais mis sur la toile si je n’étais une fois de plus victime de l’escroquerie des opérateurs mobiles dont le système m’a « sucé » tout mon crédit, faute d’avoir désactivé les données après l’épuisement du forfait.
J’ai dormi très tard au petit matin, et depuis le réveil, encore au lit, j’ai continué le travail de conversion des vidéos. Je m’y attelais encore ce soir quand je reçois le message du décès de Papa Mbango.
Quelle relation ai-je avec les partants ? Il y a plusieurs mois, c’est mon technicien dévoué qui s’en est allé. Le système d’alarme et de tracking qu’il avait installé dans mon véhicule s’est détraqué un jour au point où j’avais dû abandonner la voiture en ville, ne voulant pas l’en informer au risque de le faire partir de Douala pour Yaoundé à une heure tardive. Il était si dévoué et désintéressé que je ne pouvais l’en dissuader. Le matin, alors que je lui passe un coup de fil, c’est son fils qui me répond que son père est mort la veille. Et la voiture démarra sans aucune forme de procès. Fotso alias Lee Wang m’avait-il ainsi informé de son départ ?
Depuis hier, j’avais le nom de Papa Mbango dans la bouche. Je me promettais de tout faire pour le retrouver enfin après tant de remise au lendemain, afin que l’on achève le travail que nous avons commencé. A savoir documenter l’histoire des Sawa en la numérisant. L’envie me pressait d’autant plus que j’ai réalisé que les enregistrements que nous avons faits comportaient trop de bruit du moteur du Hors-bord. J’envisageais donc reprendre le son, à défaut de refaire le trajet fluvial Yadimbam-Bosamba (limite Bakoko-Ewodi).
Ce jour, en allant accompagner ma fille à l’école, je n’avais que son nom en pensée et je bouillonnais encore de rage en pensant à la plus grande injure qui ait été faite à l’intelligence de la communauté par ceux qui sont appelés les gardiens de la tradition.
Dans le cadre des festivités des journées socio-culturelles, après le tourisme culturel qui a permis de documenter l’histoire du fleuve Wouri, après la course de pirogues et la kermesse, et avant la veillée culturelle, une conférence fut organisée avec pour thème « l’importance de l’eau et de la forêt dans la culture des Bakoko ». Conférence qui fut boudée par ceux même qui auraient gagné à connaître notre culture et traditions, à défaut d’en être dépositaires . Je me demandais si un jour j’aurai encore l’occasion de réunir un tel panel : Un traditionniste de l’envergure de Pa’a Mbango, le Professeur d’histoire Fabien Kange Ewane et le Professeur d’histoire Madiba Essiben. Je n’en aurai plus désormais.
On a même voulu me forcer d’abréger la conférence (comme l’illustre la photo où on vient me le souffler), pour laisser place au concert de musique… en play-back. Je ne sais pas si une chose m’a déçu et découragé autant dans ma vie.
Pa’ Mbango est un papa qui avait plus de 90 ans. Il était souffrant et n’était plus sorti de sa maison depuis de très nombreuses années. C’était déjà un grand risque de le sortir de chez lui à 5 heures du matin, lui faire parcourir tout le fleuve Wouri en amont du pont en pirogue, le faire raconter l’histoire dudit fleuves pendant plus de 5 heures, le faire intervenir à une conférence le même jour à partir de 19 heures.
Qu’il soit de nouveau remercié et je ne le remercierai jamais assez.
Il était d’une probité morale et d’une honnêteté intellectuelle sans pareil. Je m’en suis rendu compte dans sa narration de l’histoire de Bonangando.
Bonangando est un village Akwa (pas celui au centre de douala) sur la rive gauche du Wouri, en face de Yasem, le village de Papa Mbango et chef lieu du Canton Bakoko du Moungo. Alors que la plupart de témoignages attestent que cet espace fut donné au Mfôn Ngando a Kwa par les Bakoko après la guerre entre les Ewodi et les Bodiman, lui attribue ledit espace aux Basaa de Lendi, non sans raconter l’histoire qui emmena les Lendi à l’abandonner. J’espère récupérer tous ces enregistrements à partir de mon disque dur externe endommagé. Un trésor.
Pa’a Mbango.
Toi dont l’histoire n’a pas été un long fleuve tranquille. Encore bébé, alors que tu rampais à peine, ton grand frère te trancha 4 doigts de ta main gauche que tu avais posé sur la noix de coco.
Tu as injustement été exclu de l’école à Edea par ton maître. Tu as ensuite eu ton CEPE plus tard à Douala en étant autodidacte.
Tu as travaillé au Tchad et lors d’un voyage à l’Est du Cameroun, tu as failli être mangé par les cannibales, sauvé de justesse par un détachement de l’armée envoyée te chercher.
Tu as failli être pris dans la sorcellerie « du caîman » dans l’eau par l’un de tes frères du village qui t’a précédé il y plus d’un an.
Tu as été victime de l’ostracisme parce que tu as eu le courage de tes opinions et de tes actes, attaché au respect des traditions et de ses convenances.
Tu as été honoré en dernière minute du bout des yeux.
Ton bâton que certains ont refusé qu’il ne te soit remis est quelque part dans une chambre de notre maison. S’il ne te sera même pas remis à titre posthume, je me rappellerai que Achille Mbembe a dit que le Cameroun est ce « pays où l’ingratitude des vivants et la violence qu’ils exercent y compris à l’encontre des morts ont atteint des niveaux inégalés ailleurs dans le monde civilisé ».
Dieu t’a rappelé au moment où lui a disposé, et non celui qu’avaient proposé les hommes.
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