Société "Nibride"
REFLEXION MATINALE 180606 : SOCIETE « NIBRIDE »
Nos sociétés africaines ont été qualifiées de sociétés hybrides du fait de la juxtaposition de deux modèles de sociétés, le modernisme (européanisme) et le traditionalisme (africanisme), conséquence de la « mission civilisatrice ».
« Le mot hybride vient du latin ibrida qui désignait le produit du sanglier et de la truie, et plus généralement tout individu de sang mêlé. L'orthographe a été modifiée par rapprochement avec le mot grec hybris faisant référence à la violence démesurée qui peut évoquer la notion de viol, union contre nature ».
Le terme hybride qui signifie ainsi « provenance de deux espèces (races) différentes », est donc en phase avec le mot juxtaposition défini comme « action de mettre l’une à côté de l’autre deux ou plusieurs chose », « résultat de cette action ».
Si on s’amusait à considérer ce mot comme « mot composé », on le décortiquerait en une « base » qui serait « bride » qui a entre autres significations le terme « lien », et on verrait en « hy » un préfixe auquel on donnerait le sens du mot « avec ». Hybride signifierait donc « avec lien ». En français compliqué !
Mais à analyser de près nos sociétés, la culture occidentale n’est-elle pas superposée (poser un corps sur un autres, venir par-dessus) à la culture africaine ? Notre société d’aujourd’hui, ayant les pieds dans le « traditionalisme » la tête dans le « modernisme », s’est inscrite dans le « ni-ni », ni modernisme ni traditionalisme ? Ce que je qualifierais de « société nibride » ou « abride ». Faute d’avoir fait une synthèse judicieuse entre les valeurs des deux courants.
J’étaierai ma réflexion sur quelques de société, l’économie et plus particulièrement les finances, la justice et la religion. L’es uns étant dans les autres par ailleurs. Sans être expert ni de l’un ni de l’autre, le bon sens paysan m’emmène à m’interroger. Au risque de poser la réponse.
Pour des raisons de bancarisation et je ne sais quoi, nos systèmes d’épargne comme le « njangi » et leurs formules d’emprunt assimilables à l’usure qui en découlent ne me semblent pas avoir été pris en compte dans notre système financier, voire sont a minima tolérés, si pas interdits par la loi camerounaise. Au profit des banques et du système financier européen, peu rémunérateur pour les épargnants et bénéfique pour les structures bancaires, leurs actionnaires et employés à la faveur des taux d’intérêts élevés.
Je connais le cas de certaines dames qui avaient une association dont le taux d’intérêt mensuel de 10% pouvait générer des bénéfices annuels de 80 à 90%. Il suffisait de placer 1 million en début d’année, pour avoir 1,8 millions voire plus, capital et intérêt réunis, les emprunts étant arrêtés en septembre. Ce n’est pas ce qui m’a été raconté, c’est ce que j’ai vu, ayant parfois aidé à calculer les intérêts. Les Femmes d’affaires s’en donnaient à cœur joie. Jusqu’à ce que certaines, comme d’habitude, et sachant qu’il serait difficile d’être poursuivies en justice, tuent la poule aux œufs d’or.
J’ai assisté à un procès d’une dame qui, ayant prêté l’argent à son amie pour faire du business dont elles devaient se partager les bénéfices, s’est fait débouter au motif que l’usure ou je ne sais quel qualificatif évoqué -comme le droit (positif ou négatif selon la position) sait en avoir de plus alambiqués- est interdite.
Si ce droit avait été inspiré et édicté sur la base de notre éthique traditionnelle qui a pour socle la confiance, alors l’une des « infractions » qui devait être régulièrement et sévèrement punie devrait être, à mon humble avis, l’abus de confiance. Car c’est à cause de ce vice que la solidarité africaine est rentrée en brousse pour renforcer celle des bêtes sauvages qui menacent notre existence.
Le deuxième aspect du dérèglement de nos sociétés est justement le système judiciaire. Celui qui fait une fixation sur les preuves matérielles, même quand la vérité crève les yeux. Les innocents peuvent ainsi obtenir un mandat d’arrêt à l’audience, tandis que les criminels en sortent en narguant les juges.
Or notre justice traditionnelle, à quelques exceptions près - qui confirment la règle- était juste, équitable à la précision chirurgicale, car basée sur nos valeurs mystico-religieuses. Que la simple eau que tous les suspects buvaient se transforme en poison dans le corps du coupable n’était pas seulement une sentence juste, mais constituait aussi une dissuasion pour les éventuels criminels, convaincus qu’ils n’useront d’aucun subterfuge pour échapper à la manifestation de la vérité et à la punition. Combien de cas de récidive compte t-on avec le système judiciaire moderne ? Où le criminel a une prime à la vie (droits de l’homme contre la peine capitale) et la victime le droit à la malchance !
Cette société qui a délaissé ses méthodes de prévention et régulation des conflits et déviation sociales sans intégrer les méthodes modernes incarnées par la justice dite dans les tribunaux officiels.
Ainsi, porter plainte à un proche ou concitoyen est un sacrilège, alors que rien n’est fait au niveau de la famille, la communauté, pour adresser le problème. Enfants, les parents dénonçaient leurs enfants apprentis-voleurs, les corrigeaient et les mettaient à la disposition de leurs classes d’âge qui l’entouraient de couronnes de lianes et feuilles de patate douce, les faisaient défiler dans le village aux cris de « a hou hou voleur ! ».
Et plus d’un s’assagissait. Aujourd’hui, au nom de je ne sais quel honneur familial, les foyers et familles sont devenus des « couveuses » de criminels. Il est vrai que toutes les choses ne sont plus égales par ailleurs aujourd’hui. Car ceci équivaudrait aujourd’hui à exposer son enfant à un sort venant d’un tiers envieux, jaloux ou tout simplement mesquin. Parce que la société s’est déréglée. On a aveuglément embrassé le « modernisme » en piétinant nos valeurs traditionnelles. Je pèse mes mots, en disant valeurs. Pas ces « valeurs » dévoyées par méconnaissance justement de notre culture et nos traditions.
Un voisin septuagénaire s’est fait « déménager » dans sa seconde maison au village à la périphérie de Douala, qu’il reçoit un défilé de délégations pour lui demander « O nyola nje o ma pula no o wèlè mun’a ndom’ango o beboa ? » (pourquoi veux-tu mettre le fils de ta sœur en prison ?). Mais personne ne songe à demander au chef de gang pourquoi il dévalise son oncle qui n’a plus de force et de moyens, à son âge, de reconstruire sa vie. Et on prône la tolérance et le bon sens, parfois c’est le silence coupable. Alors on s’autocensure en refusant d’avoir recours à la justice moderne, ou aux procédés traditionnels. Qu’en dira t-on ? Ne sera t-on pas le méchant de la famille, du village ou du quartier ?
Le voisin de l’immeuble se fait attraper par les agents de la SONEL car ayant oublié de « tournevisser » son compteur en position « marche », c’est vous qui devenez le méchant de l’immeuble pour avoir donné la clé des coffres à compteurs.
Vous vous faites braquer d’un 4X4 flambant neuf moins d’une heure après sa sortie, c’est l’enquêteur qui fait lire ta déposition à ceux qui étaient partie prenante du processus et qui par défaut sont les probables complices, et vous qui recevez des menaces.
Vous apportez une convocation de la gendarmerie aux voisins (une routine d’enquête) à la suite d’un vol aggravé, que vous devenez le pestiféré comme si c’est vous qui dirigez les enquêtes.
Que vaut le serment que les responsables prêtent sur la bible ou le coran ? Qui y croit ? Qui en craint les conséquences ? Qui s’amuserait avec le serment traditionnel ? Un Président entrant de l’assemblée d’une communauté, Chef traditionnel de son état, avait préconisé, face à l’ampleur des détournements et déviances, que tous les responsables se rendent à la grotte sacrée « ngog lituba » pour prêter serment. Prenez de mes doigts la suite de l’affaire.
Et les « écarts se normalisent, et les normes sont sans cesse écartées ». Et la société se disloque, tombe en lambeaux, « fall apart ».
Les « diffameurs », les colporteurs de fausses nouvelles, les « attenteurs » à l’honneur et la considération font florès. Parents, enfants, bambins, c’est à qui débite plus vite que sa bouche.
Vous pourrissez votre vie de principes pour vous bâtir une notoriété et susciter la confiance, un individu sort de « no where », n’importe quand, pour écrire ou dire n’importe quoi, au nom du droit à l’imposture.
Au nom de quel devoir doit-on laisser perpétuer ces errements ?
Alors en l’absence de mécanismes de conciliation et de dialogue, face à la faillite de nos systèmes de régulation de la société, je dénoncerais cet hybridisme et encouragerait d’avoir le choix, de choisir le moindre mal. Et d’en assumer les conséquences. Quand il sera commun de payer pour ses écarts de comportement les plus vils, alors la peur du gendarme sera le début de la sagesse.
Notre justice gagnerait à rendre diligentes des plaintes pour diffamation, atteinte à la pudeur, colportage » de fausses nouvelles et ces dérives des plus grossières dont certains se vantent même d’être les dignes fils de leurs parents.
Moi, je n’aurai plus de scrupules à me faire traiter de « Bassa ». Je le suis par contamination amicale et par alliance. Les plaintes ne sont même plus timbrées, je l’ai appris à mes dépens après avoir perdu plusieurs heures dans une perception des impôts où le travail commence à 9 heures, pour m’en tirer en plus avec un zeste de dédain. L’officier de police judiciaire qui recevait ma plainte me plaignait d’avoir perdu 1.000 FCFA, et moi je lui demandais de quoi vivrait l’Etat.
A bon lecteur…
La religion « moderne » n’est pas à excuser, mais plutôt à accuser dans le délitement de notre société.
Avec son espérance chrétienne qui s’est « dévitalisée pour se retirer dans les ghettos du paradis céleste et de l’inaccessible éternité », et sa punition des péchés qui a été reléguée aux calendes éternelles, la a été tracée pour tous les abus dont on récoltera les conséquences après la mort. Qui en est revenu pour dire comment il a bruler en enfer ?
Elle (la religion moderne) nous a fait perdre les fondamentaux comme les initiations qui permettaient de se préparer à la vie et sans doute de se prémunir de quelques menus « bobos ». Le commun des mortels s’est retrouvé livré à la merci des apprentis-sorciers, qui n’hésitent même pas à venir chercher leurs cibles lors des messes dans les églises.
Les religieux et l’administration coloniale dont il a fait le lit ont dépouillé, réduit au silence les vrais gardiens de la tradition que sont les patriarches (Bapèpè, Banjènjè, Bambombog) puis transmis leur autorité et leur qualité aux Chefs qui pour la plupart sont une émanation de l’administration coloniale, et que je considère non pas comme des gardiens, mais les garants de la tradition. Il y en a, des Chefs qui ne connaissent rien sinon peu de la tradition et de nos cultures, pour ne pas parler de l’histoire même de leur village, groupement, canton ou communauté. Il y en a qui ne sont possesseurs d’aucun charisme. Mais un Chef peut être gardien de la tradition, s’il est d’abord ou devient un haut initié.
Quoi en attendre lorsqu’ils doivent bagarrer sans cesse pour assoir leur autorité ? Qu’attendre de leur invocation des ancêtres qui se regardent en se demandant « qui est-ce » ? « Il dit quoi ? ».
Autant la famille nucléaire ne tient plus de palabre, autant les villages ou les cantons, non structurés, non organisés, ne peuvent avoir de repères ni de ressort sur lesquelles s’appuyer.
Et la société se désorganise, et le pays n’avance pas, car nombreux pensent que « somewhere, someone has the bâton magique ». Un pays est comme un système humain, composé d’organes qui sont des ensembles de tissus faits de cellules. On voit mal un système bien fonctionner si les cellules sont malades. Nous exigeons que le pays fonctionne à merveille, alors que les villages n’en ont que de noms. Tout comme les villages ne s’intéressent pas aux affaires du pays (institutions) pensant que ce sont les choses des autres, de l’administration toujours considérée comme une greffe de la colonisation sur notre société.
Ni des hommes modernes, ni des hommes traditionnels.
Pendant que les autres veulent aller en mars, nous ne voulons même pas rentrer dans nos villages. Tournant en rond au carrefour, ne sachant quelle voie emprunter.
Qui seront nous demain ? Que seront nous après demain ?
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