Axe Yaoundé - Libreville - Yaoundé: libre corruption
Yaoundé-Libreville-Yaoundé: libre corruption
Les Français disent que « les voyages forment la jeunesse ». Vérité au-delà du Sahara, autre chose en deçà. En Afrique centrale, les voyages vieillissent les jeunes et rajeunissent les vieillards. Tant ils peuvent pousser des cheveux blancs des premiers à vu d’œil ou chauffer le sang des derniers.
La libre circulation tant attendue en Afrique centrale et particulièrement dans la zone forestière ne tarde pas seulement à venir, mais la corruption à ciel ouvert qui est laissée libre cours sur les axes routiers entre les pays dépasse les « voirâtres ».
Il ya près de 30 ans, j’avais entrepris un voyage Dakar-Bamako en train, puis Bamako-Abidjan en avion avec un Laissez-passer délivré pour le Sénégal. Sans aucune tracasserie. Et malgré la durée du premier voyage, je garde des noms de Kayes, Tambacounda comme souvenirs, que la fatigue des 48 heures ni la nuit au clair de lune à Kayes n’ont pas altérés.
J’ai également fait Kousseri-Ndjamena plusieurs fois sans grand problème, à part l’arnaque des hommes en tenue au cas où le carnet de vaccination avait été oublié. Une fois pourtant, j’ai dû rebrousser chemin avec ma famille, car les tracasseries à la Douane pour le véhicule camerounais m’ont fait renoncer à leur faire découvrir le centre ville.
Mais ce que j’ai vu, entendu et subi sur l’axe Yaoundé-Libreville-Yaoundé dépasse les « voirâtres », entendîtes et « subirâtres ». A y perdre son petit français facile.
Il y a en effet longtemps que, routier dans mon âme, j’envisageais faire le trajet routier Yaoundé-Libreville. Pour m’y préparer, j’avais fait relever ledit trajet par GPS à un frère qui s’y rendait. Le tracé m’était donc connu. Il restait à le suivre. L’occasion se présentât en décembre à l’occasion du mariage de mon neveux. J’allais faire le trajet aller en transport en commun, afin de mémoriser la route pour le voyage retour au volant d’une voiture. Pour document de voyage, j’avais mon passeport avec un message à la direction de la Police de l’Air et des frontières du Gabon.
Départ à 7 heures de Yaoundé pour Kye Ossi par agence de voyage. Sans problème sinon un retard accusé par deux soi-disant Ivoiriens sans papiers. A chaque contrôle, du temps perdu pour qu’ils négocient le droit de continuer. Les Gabonais quant à eux s’acquittaient sans broncher du « tarif en vigueur », en règle ou pas. It’s a law ! La loi des saigneurs de poches sur la route. Résultat, j’accuse un retard par rapport à mon programme, car arrivé à Kye Ossi vers 15 heures. Le temps d’attendre mon beau-frère de nationalité Gabonaise qui venait de Libreville pour me chercher, je me demandais pourquoi. Ne suis-je pas un grand garçon ? Nous trainons un peu, le temps de contempler entre autres le « Paris » de l’autre côté de la frontière camerounaise, à partir de l’enfer. Les immeubles qui avaient remplacé les baraquements qui servaient de boutiques dans lesquelles j’avais pris une bière, après avoir franchi symboliquement la frontière il y a quelques années m’éblouissaient au point de poser la question. Je ne reconnaissais plus cet endroit. Les autres !
Cap sur Libreville, car on tenait à y arriver, même tard dans la nuit. Pas de problème à la frontière côté camerounais. Non plus au premier poste du Gabon où un formulaire de visa m’est remis.
Premier Poste de contrôle à l’intérieur, Meyo Kye. C’est mon beau frère qui est au front. Un jeune policier, teint clair, arrogant, imbu de sa personne, se donnant une contenance pour dissimuler sa cupidité, exige que nous payions XAF 5.000 pour la fiche qui m’a été remise gratuitement au Poste frontière. Fermeté et fin de non recevoir de mon beau. Je m’impatiente, car le chemin est encore long, et il faut obtenir le visa à Bitam. Un troupeau de bœuf vient à passer, le berger dépose XAF 15.000 sur la table. Et les zébus me laissent. Ostensiblement, et à haute et intelligible voix, le ripou nous dit qu’il nous retardera pour que nous trouvions bureaux fermés à Bitam. Rien à faire, mon beau est aussi un dur à cuire. Même pas un kopek. Chose promise, chose faite. Le policier nous relâche au moment où il sait que c’est plié pour nous. Le chauffeur, entreprend lui-même de donner quelque chose. Vrai, faux, il est le seul à savoir. Cela l’engage. A Bitam, comme pressenti, les bureaux sont fermés. Quelques tentatives de rattraper quelques responsables sont vaines, le processus requiert plus d’une personne. Nuit forcée à Bitam.
Le lendemain, service des visas. Accueil convivial, service soigné et rapide. J’apprends qu’aux bureaux, les gabonais sont serviables, mais sur la route, ils sont chiants.
Cap pour Libreville et bonjour les tracasseries. Des contrôles parfois à 500 mètres de distance jusqu’à Oyem. Je me demande pourquoi. Mais en voyant les nombreux embranchements qui viennent du Cameroun et de la Guinée, ceci est compréhensible à cause de nombreux trafics.
A chaque arrêt, les étrangers, en règle ou pas, doivent payer l’enregistrement. Tarif officiellement officieux: XAF 2.000. It’s a rule ! et moi dans tout ça ? Un gibier facile, à première vue. On se lèche les babines, sans savoir qu’avec l’expérience de la veille, je me suis lancé un défi. Celui d’arriver à Libreville sans donner « même pas HAP », « to pètè pèèèè », « to tchaa ».
Heureusement que je n’avais pas eu le temps de prendre le visa à l’Ambassade. Car en route, j’apprends qu’il ne vaut rien. Ils disent que c’est pour les aéroports. Ils exigent celui de la police des frontières terrestres. Même avec ce visa, je dois cotiser. Niet ! A l’appui, je brandis ma lettre d’invitation. « a la demande de Madame X avocat au Barreau du Gabon, il y a lieu de faciliter les formalités… signé le Directeur Général de la Documentation et de l’Immigration, Général de Brigade Y ». Document en béton.
On retourne le papier, me regarde de la tête (ils ne voyaient mes cheveux que pour les salutations, après mon chapeau reprenait sa place) aux pieds, parfois avec dédain, interroge, s’interroge. Le voyageur est imperturbable face aux mises en scènes et agitations. Ce qui déstabilise davantage les vis-à-vis. On exige quand même de payer, quel que soit le cas. Tout le monde s’y conforme. Alors je sors mon joker. Je consens de payer, mais contre un reçu. Car je vais me faire rembourser par ceux qui m’ont invité, ne m’ayant pas indiqué ces frais supplémentaires. Montée d’adrénaline, menaces. Le gars d’autrui sourit. Tout ce que j’ai à perdre, c’est le temps. Et on veut jouer sur cela, parfois demandant même au chauffeur de me laisser. Mais il était un gentil chauffeur. Il ne partait toujours pas après les 15 minutes d’attente pratiquées. Le contrôle le plus difficile a été celui tenu par une Dame. Le chauffeur est venu intervenir, rien à faire. A son retour dans le véhicule, il fait le commentaire à l’endroit de mon beau en lui disant « ton collègue ne fait que parler le grand français là-bas ». Il pensait que j’étais enseignant comme lui. Ainsi de suite jusqu’à Libreville vers 1 heures du matin. Objectif atteint. C’est à Libreville que mon beau frère me dit pourquoi il s’est donné la peine de venir me chercher. Dit-il, « tel que je te connais, tu allais rebrousser chemin au premier poste ».
Me voici donc à Libreville. Bon séjour, retrouvailles, connaissance d’autres membres de la très grande famille dont la plupart n’ont jamais été au Cameroun. Les bonnes choses ont une fin.
Sur le chemin de retour, au volant d’un véhicule immatriculé au Gabon, avec à bord ma sœur et ses enfants, pas de tracasseries majeures ni insistance à mon refus de payer. Une équipe de nerveux me diront pourtant que je n’avais pas droit de conduire avec un permis Camerounais. Alors j’ouvre grands les yeux et la bouche pour dire: avec un permis CEMAC ? Ils n’auront plus qu’à le tourner et retourner avant de me laisser partir. On accuse seulement quelques minutes de retard par rapport à mon horaire. Parti de Libreville à 5h 49mn, je comptais arriver à Yaoundé à 20h.
Le rythme est bon, on est à Mitzig à 12h 20 après avoir parcouru 421 km en 3h 32 mn. Le tronçon dangereux de virages et ravins est derrière nous. Aucun incident, sinon ce gorille qui est sorti de brousse à quelques mètres devant nous, qui traverse la route en nous tournant le dos. Pas bon signe, mais…
Une pause de 22 mn à Mitzig pour mettre quelque chose sous la dent. Puis cap sur Bitam à 614 km de Libreville où on arrive à 16h 00. Le temps de prendre le visa de sortie et établir le passavant, 49mn. Départ pour la frontière, à moins d’une trentaine de Km. Au poste frontière, dernière et ultime épreuve qui s’avérera la plus difficile.
En effet, l’agent qui doit viser le passavant le fait, mais exige 5.000 fcfa. Je me prête au jeu et lui donne un billet de 10.000 fcfa. Il prend 5.000 fcfa de son tiroir et les dépose sur la table afin de me les remettre avec le document. C’est alors que je demande à avoir un reçu. L’atmosphère qui était détendu devient subitement très tendue, avec des menaces et des mots pas tendres. Le problème est que l’agent voudrait me convaincre que ceci est une disposition légale, code des douanes à l’appui mais sans montrer l’article concerné. Je lui demande alors si je pouvais m’enquérir au téléphone auprès de certaines personnes, ce à quoi il ne trouve aucun inconvénient. Pour après faire tout un boucan pour m’accuser de trafic d’influence pour avoir appelé son collègue de Bitam. Il menace de me faire perdre du temps jusqu’à la fermeture de la frontière. Chose promise, chose faite. Mais le meilleur était à venir. Alors que j’étais au téléphone le dos tourné, j’entends qu’on me crie dessus. Je me retourne pour voir qu’on procède à la descente du drapeau, et me mets en position. Quelles menaces n’ai-je pas entendu par le supérieur du poste, y compris de m’enfermer. Je fais profil bas, non sans vouloir expliquer qu’à défaut de signal quelconque annonçant la cérémonie, je ne pouvais savoir, à distance et dos tourné au drapeau, qu’il se passait quelque chose. Le document m’est remis non sans me donner rendez-vous au retour. Il fallait maintenant traverser, une autre paire de manche. La frontière est encore ouverte côté gabonais, mais fermée côté camerounais. Une zone tampon d’environ 5 mètres entre les deux barrières. Je traverse à pied pour négocier au poste. On m’envoie chez le Commissaire qui était venu de Kye Ossi pour la circonstance. Dans sa voiture prête à démarrer, il prend ma carte d’identité et me demande de le retrouver dans son bureau, « avec son whisky ». Je retraverse pour prendre le véhicule, et me voici enfin à Kye Ossi. Formalités de police pour le visa d’entrée, civilités appuyées au Chef. Avais-je le choix ?
Il fallait rattraper la Douane pour prendre le passavant camerounais. On est déjà au statut de travail en heure extra légale. Il y a des frais pour cela, mais l’agent devant traiter le dossier se fait chercher et fait des siennes. Les ordinateurs doivent être rallumés et ceci et cela. Je ne sais pas comment notre facilitateur et ma sœur l’ont convaincu. J’interviens comme caution morale auprès du Chef qui se montre compréhensive. Frais de consignation des droits (caution) payés. Il faut enregistrer le passavant. La préposée ouvre le registre, mais exige 2.000 fcfa. Pas de problème, mais contre reçu. Elle ferme le registre et nous envoie balader. Notre facilitateur s’impatiente, monte le ton, rien à faire, on nous envoie nous plaindre où on veut ou peut. Le facilitateur reprend le passavant qu’il nous remet en nous disant de partir. Des gens nous dissuadent, au prétexte qu’on aura des problèmes au premier poste et seront obligés de revenir. Ma sœur qui manifeste des signes de fatigue cède, et le tour est joué. Cap pour Yaoundé, en passant par Ambam et Ebolowa. Au premier poste, les agents jubilent. Le message était déjà passé qu’on soit attendu de pied ferme, sans qu’il n’ait été suivi d’un autre informant de notre mise en conformité. Déception mais demande gentille de faire un geste pour les boissons dans la voiture. NIET ! On peut partir. A chaque poste de douane et de police, exigence de 2.000 fcfa pour l’enregistrement. Fin de non recevoir, mais on paye en temps perdu. Jusqu’au poste de Tho II, si je ne me trompe. Un gros douanier fait la résistance, nous perd des dizaines de minutes. Les enfants exténués dorment dans la voiture. Je fais la résistance non sans penser aux enfants. Alors je dis à ma sœur à qui je défendais de faire quoi que ce soit de donner l’argent si elle veut, moi je ne le ferais pas. Comme quoi, « mes doigts sont sacrés ». Aveu de faiblesse. Mais je ne manquerai pas de force pour engueuler copieusement l’agent véreux. Résultat, il est minuit quand on arrive à Ebolowa. Je voudrais continuer alors que je ressens la fatigue, mais ma sœur me dissuade. Il faut passer la nuit dans la capitale du Sud. Chose faite.
Le lendemain, quelques tracasseries en route, mais je suis frais pour résister au temps. Cette mésaventure se termine en humour au dernier poste. La barrière est ouverte, les Chefs sont en bordure de route. Je m’arrête, malgré des signes qui me sont faits de passer. Alors un Chef ironise : « partez, vous voulez qu’on vous coupe à tout prix ? ». Donc ils savent qu’ils sont des coupeurs de route d’un autre genre !
Mon neveux qui était chargé de tenir le carnet de route l’a perdu, sinon il devait relever le nombre de poste de police et de douane, et j’aurais sur la base de ces statistiques évalué combien il coûte en faux frais à un voyageur d’arriver à Libreville ou Yaoundé. Mais la leçon est qu’il vaut mieux acheter un billet d’avion, car on ne serait pas loin du compte, les tracasseries en moins.
Dans le véhicule en partance pour Libreville, mon beau frère disait à une gabonaise que les policiers camerounais font profil bas en demandant ces dessus de table, ce qu’elle a réfuté. Je lui ai donné raison. C’est pire que la sauvagerie.
Suffit-il seulement de dénoncer ? J’ai pensé qu’il faut dénoncer, faire honte (naming and shaming) à ces agents, mais mieux, initier une pétition dont le texte et les signatures seront adressées aux deux Chefs d’Etat afin de mettre fin à ces pratiques d’une autre époque.
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